3 Juin 2018
La plus délicate des roses
Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté.
On dirait une rose blanche
Qu'aurait fait rougir de pudeur,
En la lutinant sur la branche,
Un papillon trop plein d'ardeur.
Son tissu rose et diaphane
De la chair a le velouté ;
Auprès, tout incarnat se fane
Ou prend de la vulgarité.
Comme un teint aristocratique
Noircit les fronts bruns de soleil,
De ses soeurs elle rend rustique
Le coloris chaud et vermeil.
Mais, si votre main qui s'en joue,
A quelque bal, pour son parfum,
La rapproche de votre joue,
Son frais éclat devient commun.
Il n'est pas de rose assez tendre
Sur la palette du printemps,
Madame, pour oser prétendre
Lutter contre vos dix-sept ans.
La peau vaut mieux que le pétale,
Et le sang pur d'un noble coeur
Qui sur la jeunesse s'étale,
De toutes les roses est vainqueur !
Théophile Gautier
Ce poème est issu du recueil Émaux et Camées, publié en 1852. Au carrefour du Romantisme et de la Poésie Parnassienne, Théophile Gautier (1811-1872), passionné par le Chant de l'Esthétisme, y célèbre l'une des roses les plus enivrantes, issue du rosier thé ou rosier à odeur de thé, hybride subtil né de deux fameuses variétés de rosiers : le rosier Bourbon ou Noisette et le rosier Odorata.
Dans Émaux et Camées, chaque poème, composé en octosyllabes, est la représentation ciselée d’un objet qui nous séduit par sa beauté, « objet réel ou mythologique, vivant ou minéral, naturel ou produit par l’Homme ».
Suivant les principes de L'Art pour l'Art, la rose-thé est une poésie d'éloges, un hommage à la sensualité d'une jeune inconnue, dans la lignée des poésies de Pétrarque et de Ronsard où résonnent en choeur les beautés féminines et florales.
John William Waterhouse (1849-1917), My sweet rose ou The soul of the rose (L'âme de la rose), 1903.
Mélodie romantique et préraphaélite d'une rose mêlée de fièvre et de fine sensualité. Waterhouse est le peintre des enchanteresses. Il exalte dans ses oeuvres la femme magicienne, envoûteuse, sirène... la sorcière, gardienne des voies mystérieuses du Destin, la beauté qui s'incarne, entre ombre et lumière, dans des jardins secrets... Ses héroïnes, ambivalentes et enivrantes, attisent les feux poétiques de notre imaginaire collectif : Circé, Lamia, Psyché, Ophélie, Elaine, les Danaïdes, la Dame de Shalott dont je vous ai parlé en évoquant, il y a quelques temps, le poète Lord Alfred Tennyson (j'y reviendrai dans d'autres articles).
Waterhouse illustre avec brio des scènes issues de la mythologie et de la littérature (Shakespeare, Keats, Tennyson...). La femme y est sublimée, telle une rose, à travers son épineuse douceur.
Je vous invite à lire en cliquant sur le lien ci-dessous le magnifique poème de mon amie Corinne, passionnée de roses, de poésie, de peinture... Une belle âme que celle de Corinne qui m'apporte son amitié depuis de longues années maintenant...
http://roserimes.eklablog.com/l-ame-de-la-rose-a137932132
Dans le folklore anglais, on chuchote que le Petit Peuple apprécie tout particulièrement les rosiers thé et qu'il vient danser, dans la mi-ombre, autour des soies et des velours épanouis. On dit aussi que les fées brodeuses se réunissent autour des rosiers thé, les nuits de pleine lune, et qu'elles confectionnent des talismans de dentelle, des petites aumônières, des mouchoirs parfumés qu'elles déposent sur les rebords de fenêtres pour offrir de la chance aux jeunes femmes récemment mariées.
Voici quelques noms de rosiers thé, sachant qu'il y en a beaucoup d'autres, imprégnés de magie. J'ai choisi ceux que je préférais...
Abracadabra, Aphrodite, Arlequin, Belle du Seigneur, Black Baccarat, Blue Moon, Brocéliande, Candlelight, Feeling, Intrigue, Kalinka, Perle, Claude Monet, Victor Hugo, André Le Nôtre, Arthur Rimbaud, Comtesse de Ségur, Novalis, King Arthur, Froufroutante Jackie...
Effluves rose-thé dans deux oeuvres de John William Waterhouse auxquelles on attribue le même titre : « Gather ye rosebuds while ye may », « Rassemblez des boutons de rose pendant que vous le pouvez ».
Ces peintures sont inspirées d'un poème lyrique du XVIIe siècle, sur le thème du Carpe Diem, intitulé « To the Virgins, to Make Much of Time » de Robert Herrick (1591-1674).
« Gather ye rosebuds while ye may,
Old Time is still a flying;
And this same flower that smiles today
Tomorrow will be dying. »
« Rassemblez des boutons de rose pendant que vous pouvez
Le passé est encore suspendu
Et la fleur qui est épanouie aujourd'hui
Va mourir demain. »
« Gather ye rosebuds while ye may », Une jolie robe rose thé au premier plan et les fleurs du Printemps dont les charmes sont à savourer avant que la Tempête (thème shakespearien) ne les emporte...
Sur ces notes de rose, je vous souhaite de belles journées de juin et je vous adresse mes pensées d'amitié...