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6 Décembre 2017
Ils sont les incarnations gourmandes des esprits du froid... Les manneles ou mannalas, petits hommes de pâte fine épicée ou brioches aux yeux de sucre, de raisin, de chocolat.
On les appelle aussi Petit Bonhomme (en Alsace), Jean Bonhomme (en Lorraine, en Franche-Comté), Boxemännercher (au Luxembourg)... Dans les pays anglos-saxons, ils sont les Gingerbread men.
Présents dans les récits merveilleux et les contes de fée, ils agissent comme des amulettes culinaires et sont réputés chasser les démons, faire tourner la chance au profit de ceux qui les préparent, éparpiller les ombres et les peines de l'hiver...
Le Tibiscuit ou Tit'Biscuit de Shrek est un mannele. Dans l'inoubliable saga de l'ogre vert, on rencontre aussi Cake-Kong, bonhomme d'épice géant créé par Tibiscuit et deux jeunes filles pain d'épices qui font des interventions savoureuses...
Prisés depuis des siècles et quel que soit le nom qu'on leur donne, les manneles sont considérés comme l'émanation de "l'esprit du grain", utilisés pour détourner le mal et associés à des petits pains en forme d'animaux qui représentaient les forces de fécondité.
A partir du XVe siècle, ils furent associés à la célébration de la Saint-Nicolas et sont issus d'un fonds culturel commun avec les Dambedei ou petits bonshommes de la Saint-Martin que l'on savoure en Allemagne, le 11 novembre.
Le Weckmann, Stutenkerl ou Klausemann, petit bonhomme protecteur contre les forces malveillantes de l'hiver, se déguste aussi le 11 novembre. Il est agrémenté d'une pipe en terre ou en argile.
Préparés pour la Saint-Nicolas, sous forme de pains d'épices anthropomorphes, de petites brioches ou pains au lait nature ou fourrés avec des raisins secs ou des pépites de chocolat, ils se déclinent, à travers des versions toujours très gourmandes, tout au long du mois de décembre. Ils représentent Nicolas ou l'un des trois innocents (les petits garçons que le boucher avait mis au saloir et que le saint a sauvés).
Le Gingerbread Man apparut quant à lui dans un magazine américain intitulé Saint-Nicolas, en 1875, où l'on trouve les vers suivants :
« Run, run, fast as you can
You can't catch me, I'm the gingerbread man ! »
Le journal relate l'histoire d'un petit bonhomme pain d'épices qui jaillit d'un four très chaud. Poursuivi par une horde de gourmands, il leur échappa puis s'enhardit, croyant déjouer toute menace et il fut dévoré par un renard roublard...
Nous trouvons des recettes de pain d'épices dans la Grèce antique avec le melkaris et le melipecton et dans la Rome ancienne, on aimait déguster le panis mellitus, un gâteau composé de farine de sésame, d'herbes aromatiques et de miel. En Chine, c'est sous la dynastie Tang (618 à 907) que naquit un pain savoureux à la farine de froment imprégnée de miel : le mi-king. L'orthographe peut varier...
L'introduction du pain d'épices en Europe est attribuée à un évêque arménien appelé Grégoire de Nicopolis qui s'établit en France, pendant sept années, à Bondaroy, près de Pithiviers dans le Loiret. Celui qu'on appelait le Solitaire de Bondaroy avait l'habitude de partager, avec les religieux et les fidèles, qui lui rendaient visite le dimanche, un gâteau fait de farine de seigle, de miel et d'épices. A Pithiviers, il existe encore la Confrérie du pain d'épices de saint Grégoire de Nicopolis.
Le pain d'épices se répandit dans plusieurs pays au fil des siècles. Il arriva en Suède au XIIIe siècle grâce à des immigrants d'origine allemande. Au XVe siècle, en France, on mélangeait du miel, des épices nobles (gingembre, cannelle, clou de girofle...) et de la farine de seigle puis on conservait la pâte obtenue (gaude, gauderye) dans de grands bacs de bois, avec autant de fraîcheur que possible, pour qu'elle fermente lentement et puisse libérer, après cuisson, ses arômes enchanteurs.
En Angleterre, au XVIe siècle, à la cour de la reine Élisabeth Ière, on offrait aux invités des Gingerbread Men censés les représenter.
Très apprécié pour ses qualités gustatives, le pain d'épices l'était également pour ses vertus médicinales. On lui attribuait la capacité d'apaiser les maux de ventre, les nausées et les migraines résultant de problèmes hépatiques.
Le terme gingerbread dérive du vieux français gingerbras issu de zingebar, un terme d'origine latine. Cultivée dans la Chine ancienne et se répandant dans le reste du monde par la Route de la Soie, la racine de gingembre, au goût piquant et enivrant, était une denrée très précieuse, appréciée sur les meilleures tables d'Europe et considérée comme de l'or en bouche.
Le gingembre était réputé protéger de la peste et des maladies infectieuses les plus dangereuses. On en mettait dans les pâtisseries mais aussi dans les sauces destinées à agrémenter le gibier. A la période de Noël, il apparaissait sur les étals des marchés, près de la cannelle, des clous de girofle, de la noix de muscade et des gousses de vanille...
Les petits bonshommes en pain d'épices ne sont pas seulement dégustés au moment de la Saint-Nicolas ou à la période de Noël. Dotés de vertus apotropaïques (du grec apotropein, qui détourne le mal), ils sont consommés à différentes périodes de l'année et notamment au moment d'Halloween... On les appelle, dans ce contexte, des « amants ou des maris de pain d'épices ». Confectionnés par les jeunes filles et les femmes en quête d'un compagnon, ils sont dévorés, de manière rituelle, en regardant la lune ou le ciel étoilé...
Ils sont liés aux petits gâteaux des célébrations antiques, en forme de figures humaines et d'animaux, qui étaient utilisés comme des substituts aux êtres de chair.
Les formes des biscuits, émanations de la magie naturelle, évoluaient au rythme des saisons.
Dans quelques jours, je vous parlerai des maisons de pain d'épices et en attendant, je vous souhaite de délicieuses dégustations de tout ce que vous voudrez... Vous pouvez trouver de succulentes recettes de manneles sur le net ou créer les vôtres en incorporant des épices dans la farine et la matière grasse de votre choix. Il suffit de trouver des emporte-pièces ou des moules en forme de petits bonshommes. Il y en a de ravissants...
Plusieurs photos de cet article ont été faites par moi. J'ai collecté les autres sur Pinterest et j'ai marqué la référence quand je l'ai trouvée. Comme d'habitude, si quelqu'un souhaite que je retire sa photo, il suffit de demander...
Je vous embrasse bien fort, chers Aminautes, foi de petite souris!